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blog non officiel de Nicolas Sarkozy
13 juillet 2004

Chirac-Sarkozy, l'étrange dyarchie

Chirac-Sarkozy, l'étrange dyarchie

LE MONDE | 13.07.04

Le pouvoir est à l'Elysée, les regards sont braqués sur Bercy. Plus que jamais depuis la réélection du chef de l'Etat, en mai 2002, qui préludait à l'avènement d'un pouvoir uniformément chiraquien, Nicolas Sarkozy campe seul au centre du jeu politique national : de lui surgissent les idées qui provoquent le débat, les initiatives qui font bouger les lignes, les excès qui, parfois, suscitent la controverse. Après le désastre des régionales, son nouveau statut de ministre d'Etat dans le gouvernement remanié de Jean-Pierre Raffarin consacrait sa prééminence. En trois mois, son activisme et son culot l'ont aidé à se hisser, comme sur la pointe des pieds, à la hauteur de Jacques Chirac – avec qui il entretient un tête-à-tête singulier, animé de méfiance réciproque et d'agressivité contenue.

En témoigne l'appréhension avec laquelle l'Elysée et Matignon ont guetté l'entretien accordé au Monde par le ministre de l'économie – daté 11-12 juillet. Ses propos y ont, en définitive, été accueillis avec soulagement : à la veille du 14 Juillet, domaine réservé de la communication présidentielle, il y exprimait sa tentation pour la présidence de l'UMP, mais sans l'assortir d'aucune déclaration de guerre. Encore ne déclare-t-on pas un conflit qui est déjà ouvert.

Qu'importent les apparences : en fixant publiquement, le 24 juin, une consigne d'incompatibilité entre la présidence de l'UMP et l'appartenance au gouvernement qui n'était faite qu'à l'intention de M. Sarkozy, le chef de l'Etat a préféré abîmer l'impartialité présidentielle plutôt que de laisser M. Sarkozy poursuivre sa marche en avant.

Deux semaines plus tôt, devant 237 parlementaires de la majorité conviés à Bercy pour une démonstration de force, le ministre de l'économie s'était posé en chef et en protecteur. Sa description de l'effondrement du "château... de cartes" avait causé, dans l'assistance, un murmure de stupéfaction. Dernier épisode en date : le 5 juillet, au cours d'un conseil de défense tenu à l'Elysée, M. Chirac et lui se sont sèchement affrontés sur la préparation du budget des armées, sous le regard médusé des autres ministres présents.

Ainsi va, au gré des colères, des bouderies et des confidences promptement rapportées, la cohabitation d'un nouveau genre qui unit – on n'ose dire qui oppose – le président de la République et son ministre des finances. Dans les soubresauts de leurs relations se mêlent, pour le meilleur et pour le pire, instincts politiques, intérêts tactiques et sentiments personnels. Dans son obsession légitime de maîtriser jusqu'au bout la plénitude de ses pouvoirs, M. Chirac s'efforce tant bien que mal d'endiguer les ambitions conquérantes de M. Sarkozy. Dans la certitude qu'il a de son destin présidentiel, M. Sarkozy saisit chaque occasion de marquer sa différence avec M. Chirac. Et dans cette guerre qui ne veut pas dire son nom mais dont les Français perçoivent quasi quotidiennement le vacarme, le premier ministre a pour ainsi dire disparu ; théoriquement chef de la majorité dans l'ordonnancement de la Ve République, il n'apparaît plus qu'en spectateur – certes engagé – d'une joute qui se joue en dehors de lui.

Telle est l'anomalie institutionnelle qui donne à l'affrontement présent son caractère étrangement déstabilisant : la "dyarchie" au sommet de l'Etat qui, dans l'esprit du général de Gaulle, ne pouvait exister sans compromettre le régime, cette "dyarchie" s'est imposée, mais non entre l'Elysée et Matignon : elle partage aujourd'hui l'autorité entre un chef de l'Etat à la légitimité incertaine (malgré les 82 % de suffrages exprimés du second tour, seulement un peu moins de 20 % au premier) et un ministre des finances ultra-populaire, à la légitimité virtuelle.

De fait, les rivalités passées qu'évoque ce duel lancinant ont toujours confronté un président et son premier ministre : de Gaulle écarta Georges Pompidou après Mai 68, Pompidou révoqua Jacques Chaban-Delmas en 1972 et François Mitterrand remercia Michel Rocard en 1991, tous pour des motifs peu ou prou liés à la faveur jugée excessive dont ils jouissaient auprès des Français – et des parlementaires de leurs majorités respectives.

Un seul chef de gouvernement, on le sait, prit l'initiative de la rupture avec son suzerain : Jacques Chirac lui-même, qui, en 1976, se libéra de la tutelle giscardienne en déplorant de ne pas disposer "des moyens nécessaires pour assurer efficacement -ses- fonctions". Vingt-huit ans plus tard, il est des jours où M. Sarkozy se dit prêt à emprunter ce chemin, dans l'ivresse d'un instant de gloire fugitive ou dans un de ces moments de dépit que lui cause encore, parfois, le désamour persistant du chef de l'Etat. L'histoire s'impose aussitôt à lui pour l'en dissuader : après sa sortie fracassante, M. Chirac dut attendre deux décennies pour parvenir là où son ambition le portait.

L'EXEMPLE DE GISCARD

Son héritier rebelle n'est pas sûr d'être armé d'une telle patience. Sans doute trouve-t-il davantage de raison d'espérer dans le parcours de Valéry Giscard d'Estaing, qu'il évoque à l'occasion : ministre des finances de Georges Pompidou (1969-1974), celui-ci incarnait tout à la fois la compétence, la modernité et l'indépendance à l'égard du pouvoir que son fameux "oui, mais", lancé en 1967 à la face du général de Gaulle, avait inscrit dans les mémoires. Incontournable au gouvernement, ancré dans la majorité, il s'était forgé une stature d'homme neuf quoique d'expérience. Son slogan victorieux, en 1974, était : "Le changement dans la continuité". M. Sarkozy ne pourrait-il le faire sien ?

D'évidence, son pari est celui-ci : incarner l'alternative pour une majorité déboussolée, qui voit s'approcher la fin du chiraquisme sans successeur désigné – Alain Juppé est hors jeu, Dominique de Villepin ne fait pas encore le poids – ni perspective tracée. Sa difficulté en découle : à force de faire entendre sa différence (sur la conception de l'Europe, la réforme des 35 heures ou la "discrimination positive"), l'homme fort de la droite apparaît presque comme l'opposant principal au président de la République ; comment, dans ces conditions, aspirer à prendre les rênes de son parti, la tête de ses hommes ?

Comme toute stratégie de la tension, l'affrontement comporte sa part de bluff : en imposant à son ministre de choisir entre Bercy et l'UMP, c'est au parti que M. Chirac souhaite le voir renoncer ; il sait ce que coûterait son départ à un gouvernement déjà fragile. De son côté, en laissant prospérer l'idée d'une prise d'assaut de l'UMP, c'est à Matignon que M. Sarkozy continue de rêver. Il pensait s'y installer de droit en 2002 ; il a cru son heure venue au printemps dernier ; il sacrifierait volontiers, quoi qu'il en dise, un dessein partisan à la conduite du gouvernement.

M. Chirac n'ignore pas que cette promotion seule pourrait le dissuader de se lancer à la conquête de l'UMP, mais il sait aussi que, au stade actuel de dégradation de leurs relations, la nomination de M. Sarkozy aurait des allures d'abdication. Réussirait-il à Matignon ? La question a fini par devenir secondaire au chef de l'Etat, que l'on dit pourtant préoccupé d'achever son long règne, en 2007, sur une impression positive. Tel est, à cette heure, le bilan de l'étrange dyarchie : pour s'être tant ressemblés qu'ils ne s'abusent plus, M. Chirac et M. Sarkozy ne partagent plus, aujourd'hui, que des contradictions.

Hervé Gattegno

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